Haiti,la maladie du pouvoir…

La soif de pouvoir, la jalousie de ceux qui n’arriveront jamais au pouvoir par les voies régulières, sinon à la faveur d’une chute brutale du Président ou de l’ouverture d’une période de transition provoquée, ce sont là les deux principaux facteurs de l’instabilité du système politique en Haïti, depuis l’Indépendance, c’est-à-dire, pendant deux cent vingt longues années.

Les envieux sont là, tapis dans l’ombre à l’intérieur du système. Ils sont ceux-là qui allument les mèches de la « révolution », du soulèvement, des jacqueries qui ont marqué notre histoire agitée sur plus de deux siècles. Ils complotent à vue contre le pouvoir pour le faire tomber. Tous les ingrédients sont bons pour atteindre leur objectif, empoisonnements, assassinats, coups d’État. A date, il n’y a rien que les contempteurs et les déstabilisateurs du pouvoir n’ont pas essayé. Nous avons fait sauter le Palais national avec le Président, nous avons tiré un chef de l’État d’une Ambassade pour le mutiler et trainer sa dépouille dans les rues, nous avons embarqué dans des bateaux et des aéronefs, maints Chef d’État vers la Jamaïque, la République dominicaine, les États-Unis, le Venezuela, la République Centrafricaine et vers bien d’autres destinations.

Et le plus haut fait dans le genre que les spécialistes du complot ont réussi, c’est la prouesse d’entrer dans la chambre intime d’un Président de la République et de l’assassiner sauvagement.
En Haïti, la tradition du complot est tellement bien assise qu’un proverbe très populaire traduit cet état de fait. Alors que la réputation de notre pays n’est plus à faire dans le domaine mystique autour de notre religion populaire, le Vaudou que nos ancêtres ont amené avec eux dans les cales des négriers, la force du complot minimise l’impact de nos pouvoirs mystiques. Ne dit-on pas depuis toujours en Haïti: « konplo pi fò pase wanga »?

Oui, le complot dans notre pays est dans tous nos agissements. Et cela ne s’applique pas seulement à l’espace du pouvoir politique. Il y a toujours un complot en gestation contre une cible quelconque. Un superviseur de factory jugé trop zélé;un Chef du personnel d’une administration quelconque; un superviseur de supermarché qui fait le monitoring des stocks pour empêcher les vols dans les dépôts; un Inspecteur de la DGI; un responsable quelconque de la Douane; un empêcheur de tourner en rond qui bloque les magouilles et les brasses dans une institution quelconque. Toute personne détenant une autorité à quelque niveau que ce soit; un contrôleur ou gestionnaire des stocks de matériels de la défunte TELECO ou le responsable de la logistique à l’EDH qui monte la garde pour éviter les détournements du carburant; un employé zélé d’un terminal pétrolier que l’on assassine ou une responsable de l’administration d’une Brasserie que l’on tue parce qu’elle gênait les voleurs et ceux qui détournaient des produits de la compagnie;un superviseur qui dénonce les pratiques de siphonnage des chauffeurs des tankers en route, sont autant d’illustrations ad libitum de la tradition de complot contre le chef, grand, moyen, petit, en Haïti.

Et ici, à part l’arme du crime direct, l’on recourt également au pouvoir mystique. Et ces pratiques connues de tous engendrent des comportements préventifs. Un Directeur d’une institution qui ne s’aventure jamais à ouvrir la porte de son bureau, un employé est chargé de le faire…Régulièrement dans l’Administration publique ou privée on rapporte des faits de “wanga”, des “ kout poud” et autres “ expéditions” redoutées de tous. Devant cette réalité qui porte les nouveaux Directeurs à changer la voiture de service, la chaise et autres mobiliers du bureau avant de prendre charge, la parole qui revient sur toutes les lèvres:” Ou pa janm konnen, malè pa mal”…

Il faut reconnaître aussi que l’amour du pouvoir, la jalousie du pouvoir en Haïti est alimentée par les attitudes et comportements des détenteurs du pouvoir. Les effets de démonstration, les largesses, le train de vie insultant des tenants de l’État sont autant de facteurs qui attisent les envies de ceux qui regardent, qui observent le comportement ostentatoire de Ministres, Directeurs Généraux, de fonctionnaires supérieurs dans un pays de toutes les raretés. C’est ainsi que chacun attend son tour de chevaucher le cheval de l’État ( chwal papa) qui procure tant d’aisance et de bien-être. Tout le monde est impatient de voir arriver l’occasion qui lui ouvre les arcanes de l’État pour y pénétrer epi souse yon zo! Tout moun ap tann tou pa’l… L’attrait du pouvoir en Haïti est fatal. On y résiste difficilement même quand l’on sait à l’avance qu’on ne pourra pas contribuer à changer quoi que ce soit, à laisser sa marque en ayant fait bouger les lignes, secouer les inerties, bouleverser les mauvaises habitudes, les mauvais plis qu’aucune chaleur d’un fer à repasser ne peut corriger… Mais, on y va quand même, cette expérience viendra enrichir le curriculum vitae. “Une telle , un tel, ancien Ministre…”

Et quand les pieds des détenteurs du pouvoir glissent sur les pelures de banane qui jonchent les avenues du pouvoir, quand le Chef, l’homme fort du moment a mis les pieds au mauvais endroit de la terre glissée d’Haïti, « dan ri malè »! Plus d’un qui n’espéraient que l’ouverture d’un moment de transition pour avoir une opportunité de se retrouver dans l’espace de pouvoir, jubilent…

Alors que les mauvais génies, (dommage que génie soit un mot masculin pour s’appliquer à l’entourage du dernier pouvoir qui vient d’être évacué de l’espace… ), alors que les mauvais génies qui pullulaient autour d’Ariel Henry et qui profitaient largement d’un pouvoir dont ils n’ont fait que jouir, sans s’occuper de gouverner pour de bon. Alors qu’ils pleurent sans dignité d’avoir perdu le pouvoir en tentant de jeter la responsabilité sur d’autres qui n’ont aucune vélléité de les remplacer, les aspirants au pouvoir se bousculent pour offrir leur service…

Et quand il s’agit de monter au pouvoir, comme pendant deux cent vingt années, nous ne regardons pas en priorité les intérêts d’Haïti. Nous sommes aveuglés par notre objectif personnel d’entrer dans l’espace de pouvoir au préjudice même de l’image d’Haïti. Nous sommes tout à fait incapables de compromis pour imposer nos propres solutions, malgré les limites ou imperfections des propositions endogènes, haïtiennes de sortie de crise, nous venons de montrer à la face du monde que la désunion fait notre faiblesse. Au lieu de brandir notre solution en recourant soit à la tradition constitutionnelle soit nous inspirer de formules passées pour combler la vacance de pouvoir, nous nous en sommes remis à l’étranger pour nous trouver la formule de gouvernance de notre propre pays. Et là encore, cette déchéance n’a pas suffi. Il a fallu que des plateformes politiques montrent leurs divergences internes autour du choix de leur représentant. L’urgence d’avancer et de tourner la page du pouvoir incompétent, stérile, improductif d’Ariel Henry entre les mains duquel le pays a sombré, n’a même pas interpellé ceux-là qui avaient un délai pour former le Conseil présidentiel qui aura la charge de gouverner notre pays pendant cette nouvelle phase de transition. Malgré les réserves des uns et des autres sur le prochain Conseil présidentiel qui n’est pas nouveau dans notre tradition politique truffée de Juntes militaires qui ont pris la relève des Présidents renversés, jusqu’au Conseil National de Gouvernement, le CNG du 7 février 1986, nous devions comprendre l’urgence d’avancer. Mais non, notre indolence et nos postures procrastinatoires ont eu le dessus. Depuis quand en Haïti, avait-on la notion de l’heure et qu’on était pressé? La Caricom, Anthony Blinken et les autres dignitaires qui avaient fait le déplacement le jour d’avant, ils peuvent attendre.

Pendant ce temps, sur le terrain, les gangs avancent sur les quartiers réputés soi-disant chics ou habitent ceux qui sont qualifiés abusivement de bourgeois, mais qui sont, pour la plupart des entités des classes moyennes de professionnels plus aisés que le reste de la population avec quelques nantis dans le voisinage.
Entre temps, on nous offre des scènes d’horreurs avec des rues à Pétion-Ville tapissées de cadavres qui ne sont plus en état de témoigner de l’incident qui leur a coupé le souffle de vie… On ne saura jamais. Les rues infâmes de la zone du marché, scènes de ce massacre ne sont pas surveillées par des caméras pouvant nous restituer les faits… On n’est pas encore dans l’Haïti de nos rêves où pour les besoins de la sécurité publique, des caméras de surveillance opèrent à côté des pylônes électriques ou fixées là-dessus, pour que l’autorité compétente puisse, en temps réel, vérifier les faits et gestes de la population sur un simple retour sur image. A Pétion-Ville, malgré les prétentions prêtées à cette ville qui serait la capitale de ceux qui prétendent «  Ayiti pa’m lan diferan », on n’est pas à Shanghaï ou dans une autre ville chinoise où la surveillance électronique est visible, partout.

La maladie du pouvoir, la folie du pouvoir, la jalousie et l’envie du pouvoir d’une classe politique ou de citoyens illuminés comme parmi ceux-là qui se trouvent derrière les barreaux dans le cadre de l’assassinat du Président Jovenel Moïse, voilà ce qui fait souffrir Haïti depuis 220 ans.

Ils sont sourds, aveugles et muets comme le personnage du roman La Brute, de Guy des Cars. La seule chose qui leur importe c’est d’être là, dans le cercle du pouvoir à déguster la tranche de gâteau si recherchée par nos femmes et nos hommes politiques. Le pouvoir en Haïti, c’est une mangeoire, un lieu d’accumulation de richesses. Cela n’a pas changé sur plus de deux siècles.
“ Que le pays soit réduit en cendres” comme le proclamait L’avocat André Michel en plein dans la période du “ pays lock”, c’est la mentalité, l’approche retenue par les insatiables du pouvoir. Actuellement, le pays est en agonie, c’est la fin de l’État qui s’est dilué au point que ceux qui ont eu le pouvoir et on en jouit sans diriger à aucun moment, n’ont vu le salut que dans la sollicitation aux Nations unies, d’une force étrangère pour nous délivrer des gangs qu’ils ont eux-mêmes accouché, nourri, alimenté, engraissé de munitions, d’armes et d’argent, jusqu’à ce que, autonomes et affranchis, ils ont retourné leurs armes contre leurs commanditaires pour lesquels ils ont commis maints crimes, forfaits et massacres…

Haïti, même si notre pays est à bout de souffle comme la majorité de sa population, les assoiffés de miettes de pouvoir décident, qu’il peut attendre. Qu’est-ce qui presse? “ Ayiti janm gen pwoblèm tann? Haïti peut attendre comme nous attendons depuis 220 années des dirigeants patriotes, nationalistes, conscients pour prendre en main sa destinée en rupture avec toutes les impostures, avec tous les imposteurs qui l’ont fait dévier de sa route naturelle de progrès social et de développement profitable à tous.

Les envieux et les jaloux du pouvoir ont toujours oeuvré dans leur inconscience, pour consacrer la décadence infâme de notre pays et sa dépendance de tuteurs qui décident depuis trop longtemps à notre place…

Par Hérold Jean-François

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